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  >  Culture et Patrimoine   >  Comment se comporter admirablement face au Patrimoine (et face à ton guide, sinon il va te bouffer)

Noël approche ! Et à Noël, les familles se réunissent et souvent organisent des visites au musée pour ceux qui viennent de loin. Alors, apparait encore et encore, le constat suivant : les gens n’ont pas conscience que dans un musée ou une visite guidée, il y a des règles !

Quand j’ai commencé la formation de Guide-conférencier en 2012, j’avais été interpellée par l’intitulé exact de la formation : « Licence professionnelle, Agent de développement et de protection du Patrimoine, spécialité Guide-Conférencier ». Développement et Protection : deux mots-clefs super importants dans notre profession. Et là, j’ai très envie de développer l’aspect « Protection » parce que la question se pose dans TOUTES les visites que j’ai pu faire ces dernières années et encore plus ces dernières semaines.

On va pas se mentir : le public a changé. Pas dans le sens où ce n’est plus le même public mais dans le sens où les mœurs, les comportements et les besoins/envies du même public sont aujourd’hui différents, par rapport à l’époque où j’ai débuté dans le métier. L’exemple le plus flagrant, ce sont les visites avec des groupes scolaires : la visite qui, il y a 5 ans, nous faisait pleurer, hurler, questionner tout notre chemin de vie, est désormais la visite « normale ». Oui, oui. En conséquence, pour nous décharger de certaines responsabilités qui ne nous incombent pas du tout de toute façon (autre sujet épineux dont je traiterai avec plaisir une autre fois), nous insistons maintenant TRÈS lourdement sur les « 3 règles de la visite guidée » :

  • Règle 1 : on ne crie pas
  • Règle 2 : on ne court pas
  • Règle 3 : on ne touche pas

Auparavant, je ne faisais que donner ces règles et je les faisais répéter aux enfants. Maintenant, je les développe, quitte à dépasser le temps donné de la visite de 5-10 minutes mais c’est super important. Est-ce que toi, mon lecteur chéri à paillettes, est-ce que toi tu sais pourquoi on donne ces trois règles ? Je te laisse réfléchir une minute …

C’est bon ? Tu as ton raisonnement en trois parties avec intro, problématique, développement antithèse/synthèse, conclusion et ouverture ? NAN ? Oh la la ! Ahahah, nan j’rigole, reviens, j’ai jamais aimé ce schéma de pensée de toute manière 🙂

Alors reprenons ensemble, c’est plus sympa ainsi :

Pourquoi « On ne crie pas »

C’est la plus simple à comprendre. Parce que c’est chiant. Voilà. On va pas chercher midi à quatorze heures. Si tu cries au sein de ton groupe, ton guide te hait. Si tu cries dans un musée/monument, tout le monde te hait. En tant qu’adulte, tu te dis très certainement : « Rhooo, mais moi je ne crie pas » et tu te dis peut-être (mais franchement j’espère pas) : « Pourquoi elle fait de son cas une généralité ? ». Alors sache que pour les enfants, c’est pas évident du tout. Ils ne se développent pas à la même vitesse et ne comprennent pas forcément que leurs vocalises sont relou pour tous. De plus, mes collègues et moi avons remarqué que les enfants, pour évoluer, expérimentent : Je hurle, je suis repris voir puni, j’ai compris (ou pas hein !). Si je tente pas, je ne saurai pas. C’est pas forcément de la manipulation, c’est généralement de l’expérimentation.

Malheureusement pour nous, c’est une technique qui se généralise et nos oreilles et notre patience ne les remercient pas ! Les adultes ne sont pas en reste : ils ne hurlent pas mais ils papotent parfois, et à voix haute. Des fois, ils se mettent en retrait : bien ! Des fois, ils restent près de toi pendant que tu parles : pas bien ! Personnellement, je fais partie de ces guides qui exècrent le « par cœur » (j’aime bien ce mot, « exècre », il sonne comme sa signification xxxccrrrrr, comme quand y a un mec qui crache à côté de toi dans le métro, bref), donc quand je suis interrompue, je perds mon fil et le rythme : PAS. COOL. DU. TOUT. 

Un exemple, inconscient (et marrant avec beaucoup de recul) : J’étais au château de Versailles, un mardi. Les connaisseurs te diront qu’il ne faut surtout pas aller à Versailles le mardi, c’est le jour où le Louvre est fermé donc TOUT LE MONDE va à Versailles. Tant bien que mal, je me frayais un passage dans les grands appartements avec mon groupe de d’jeunes, et là UN HURLEMENT, puis un autre, et encore un autre, un mouvement de foule et évacuation de la salle par les agents. Je suis entrée en mode « maman louve » qui protège ses 30 petits et gère la situation. En mon for intérieur, je me voyais déjà au milieu d’une fusillade …

Bah… non… En fait, le premier hurlement n’était pas un hurlement. C’était un éternuement tonitruant. Oui, oui. Tellement sonore que ça a fait peur à une dame qui a hurlé et ça a entrainé un mouvement de panique. Donc j’ai envie de dire : KEEP CALM AND CARRY ON !

Ouais ! Tu déconnes pas avec Versailles OKAY ?

Pourquoi « On ne court pas »

Assez évidente aussi mais l’air de rien, moins que la précédente. On ne court pas parce qu’on peut rentrer dans une œuvre et l’abimer, la casser, la pulvériser. On peut aussi rentrer dans quelqu’un et le blesser : un enfant propulsé à 10 km/h, ça dure pas longtemps mais ça fait du dégât ! Tout ça, c’est évident. Ce qui l’est moins, parce que les coureurs ne se mettent pas à la place de ceux qui ne courent pas : c’est chiant ! BAH OUI ! Imagine : tu es guide, tu parles, et t’en as un qui se met à courir et qui se casse. Voilà. Si tout le reste du groupe t’écoute bien, ils ne l’ont pas vu. Donc qui doit s’interrompre et rattraper Usain Bolt ? C’EST BIBI PUT*** ! Il faudra que je cooouuurs, toouuus les joouuurs

Donc la prochaine agence qui me dit « Hmmm, les baskets, même en visite pour les enfants, on préfère pas, c’est pas élégant, c’est pas bon pour la marque » : Bazinga ! Et enfin, ça ne m’est jamais arrivé, je touche du bois, un enfant qui se met à courir en visite, c’est un enfant sur le point de se perdre. Qu’on se rassure : dès le collège c’est un comportement qui se calme et qui a complètement disparu à l’âge adulte. D’où le fait que tu ne te sentes pas du tout concerné par ce point ! Tu le seras peut-être par le suivant :

Pourquoi « On ne touche pas »

Parce qu’on peut casser ? Franchement ? Est-ce qu’un enfant se dirait en son for intérieur : « Oh, nom d’une pipe en bois, voici un joli doigt en pierre, je le rapporterais bien à la maison, ça fera plaisir à Maman » ? NON ! Par contre, il peut avoir envie de toucher parce qu’il ne sait pas quel toucher ça a de la jolie pierre blanche. Et s’il touche, il y a deux, voire trois, scénarii concomitants qui se mettent en place sur le long terme et c’est là que mes petits poils se hérissent sur mes bras.

Scénario numero uno

Les doigts sécrètent du sébum, le grassou brillant du nez des ados et des adultes qui ont pas de pot comme moi ! Ce sébum est présent sur TOUTES les peaux en bonne santé (et c’est grâce à ça que la police scientifique peut prélever des empreintes. AH !). Et généralement, on visite pas des musées et des monuments avec la malaria. Donc partons du principe que chaque humain présent dans un lieu est RECOUVERT de sébum. Miam, miam. Et bien, ce film gras, assez fin, sur le bout des doigts, se dépose sur la statue ou le mur, caressé en toute délicatesse par … l’indélicat ! En fait !

Parce que toi, tu crois que tu câlines une statue centenaire voire millénaire, tu te sens grand, fort, privilégié par ce lien neuf ! Alors qu’en fait, tu viens de contaminer la pierre. Et ton sébum va attirer poussière et acariens qui en bouffant ton gras, prendront quelques microgrammes de la pierre qui est en dessous. Ce comportement multiplié par les dizaines de milliers de visiteurs qui ont eu la même idée = destruction progressive de l’œuvre qui sera un jour retirée de l’exposition parce que devenue trop fragile. BAM !

Scénario 2

L’habitude. Tu l’as fait une fois. Le monde ne s’est pas écroulé. La statue non plus. Personne ne t’a rien dit. Tu recommenceras. Probablement en public, devant des enfants qui penseront que c’est ok. NON ! Cf scénario uno.

Scénario numéro trois

Qui découle du 2 et qui n’est pas du tout obligatoire, fort heureusement : des années plus tard, tu deviens le vandale non assumé, tu grimpes sur la statue en plein milieu de la foule et tu casses le doigt de la statue pour avoir un souvenir. Choquant ? Improbable ? Et pourtant … Quand tu passes dans les jardins parisiens, observe les statues. Si elles n’ont plus de doigts, ce n’est pas l’usure naturelle, non, ce sont les vandales ! Je dis pas « touriste », parce que ce sont les touristes ET les Parisiens qui agissent ainsi. Voici trois exemples ahurissants. Comme je veux que tu restes sur cette page, je t’en mets que trois sur les 4582 que j’ai en stock.

Un exemple qui veut tout dire : Le Jardin des Tuileries (de l’enfer)

Il y a quelques années, je faisais une visite du jardin des Tuileries avec un groupe d’enfants tout chouchous. Nous étions devant la statue de l’allégorie du Nil. Un groupe d’adultes est arrivé, ils faisaient un rallye en mode « Team-Building » avec des questionnaires, sans guide, sans « agent de protection du patrimoine ». Devant mon groupe, faisant fi de toutes les règles de sécurité, un des participants a escaladé la statue pour y trouver la réponse à son questionnaire. Je l’ai réprimandé. Gentiment d’abord. Puis plus fort. Je doute que son questionnaire lui ait demandé de prendre ce risque inutile. Il m’a insultée. Double excellent exemple pour la dizaine d’enfants qui m’accompagnait et observait la scène, médusés.

Et encore, je ne te parle pas des problèmes rencontrés dans les jardins de Versailles ! Mais si ça t’intéresse, tu peux cliquer ici pour découvrir un article super intéressant sur la question de la conservation et de la restauration des statues des Jardins de Versailles. Big up pour le paragraphe 21 qui parle du vandalisme des visiteurs et précise que les empreintes digitales font partie des dégradations les plus courantes !

Le Nil aux Tuileries : Non ce n’est pas un film d’horreur avec des bébés sans tête et sans main.
Autre exemple célèbre, celui de la 13ème marche du Grand Escalier de l’Opéra Garnier

On dit qu’un petit rat de l’Opéra serait tombé depuis une galerie sur cette marche (Je t’en dis pas beaucoup plus, comme ça tu viens faire la visite avec moi hihi). Aujourd’hui, cette marche est cassée en son centre et noircie. Non, ce n’est pas l’impact de la danseuse sur la pierre qui en est à l’origine ! Ce sont les touristes ! Ils touchent et retouchent cette marche pour se faire peur avec la malédiction du nombre 13 ! « AAARRGH » *cri de détresse d’un agent de protection du patrimoine*

Grand escalier de l’opéra Garnier où l’on voit bien la « tâche noire » sur la 13ème marche
Dernier exemple encore plus hallucinant : L’Orient Express

J’ai fait de nombreuses visites de l’Orient Express pendant les Journées Européennes du Patrimoine en 2018 (Paris) et 2019 (Lyon). Les deux fois, c’était génial pour nous, les guides, et la première journée s’est parfaitement déroulée : des visiteurs charmants, curieux, ravis de LA CHANCE QU’ILS ONT. Deuxième jour : on découvre la casse de la veille.

C’est un exemple encore très frais dans mon esprit, on a retrouvé un accoudoir cassé d’une chaise (qui a 100 ans, hein) et des lampes cassées puis cachées dans … les frigos des voitures restaurant ! WTF ! Les gens touchent, puis cassent, et, BIEN CONSCIENTS de leur connerie, cachent. Pas vu, pas pris ?

C’est tellement stupide que j’en tombe encore de ma chaise (qui n’a plus d’accoudoir en plus, ahahah !). Parce que, c’est quoi les conséquences d’un tel geste ? Et bien, l’Orient Express, il appartient pas à la France ou à une commune. Les voitures classées aux Monuments Historiques appartiennent à la SNCF mais c’est une société privée qui s’en occupe et qui est bien, bien, sympa de les faire visiter GRATUITEMENT au public. Si les comportements et incivilités des visiteurs les soulent, tout simplement, le grand public n’aura plus accès à ce train mythique. Le comportement stupide d’un ou deux visiteurs pénalisera tous les autres (8000 visiteurs aux JEP cette année tout de même !)

Tout cela pour dire

Un enfant qui comprend et accepte les raisons pour lesquelles il ne faut pas crier ou courir dans un musée ou toucher les œuvres, est un futur adulte qui a plus de chance de respecter son patrimoine et de transmettre le bon comportement. Je vois énormément de personnes âgées qui touchent  les statues, comme si c’était leur droit. Non, ça ne l’est pas. Et non, « moi je peux parce que … » NON

Le tourisme de masse ne permet pas de découvrir le patrimoine avec un ego individualiste. L’accès au Patrimoine EST UNE CHANCE et est l’affaire de tous, et il est impératif que tous le respectent pour le maintenir, dans la joie et la bonne humeur. Donc, si toi, qui me lis, tu comprends ces règles, alors TRANSMETS-LES à ton tour. Parles-en autour de toi, partage cet article sur ton profil facebook, parles-en à ton petit neveu, reprends gentiment les gens qui agissent en non-connaissance de cause, signale les incivilités aux agents de salle des musées !

WE. CAN. DO. IT.

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